La France est malade de ses dirigeants

Courrier international 21 mars 2006

"L'ère chiraquienne a renforcé le réflexe français qui considère tout changement comme une attaque contre des acquis sociaux non négociables", écrit l'éditorialiste John Vinocur dans l'International Herald Tribune. "Pourtant, en France, le capitalisme fonctionne : il existe de très grandes entreprises françaises et une main-d'œuvre qualifiée et motivée. Mais, dans un pays où le capitalisme demeure démonisé alors que le passé révolutionnaire, idéalisé, est vénéré, la tentative du gouvernement socialiste de réformer le système français avec les 35 heures s'était déjà soldée par un échec. Cette réforme, qui devait permettre davantage de flexibilité et d'embauches, s'est révélée un mirage, imitée nulle part ailleurs en Europe, et si complexe qu'elle a confirmé plutôt qu'infirmer l'équation de base des employeurs : les nouvelles embauches comportent des risques intolérables."

"Ces jours-ci, les jeunes manifestants grondent contre une tentative différente, mais tout aussi timorée, de réformer ce que la droite comme la gauche appelle le 'modèle social français', éternel et intouchable. Cette fois-ci, Villepin aurait dû s'attaquer au problème franchement, proposer un vaste programme de dérégulation du marché du travail et réduire l'immobilité générée par un réseau inflexible de protections sociales. Au lieu de ça, il a fait passer en force une loi centrée uniquement sur les moins de 26 ans, qui permet à leurs employeurs de les licencier sans explication durant les deux premières années. Ce que Villepin n'a pas compris, c'est que le CPE (contrat première embauche) entre en contradiction avec tout ce que Chirac et lui-même disent au pays et à ses jeunes sur la grandeur de la France. Ce sont eux qui ont fait de la défense d'un système rétrograde une obligation nationale. Quand la France refuse l'ouverture de ses frontières aux travailleurs du reste de l'Union européenne, quand Villepin appelle au 'patriotisme économique' et à la création des champions nationaux de l'industrie, quand le gouvernement lutte contre le rachat d'entreprises françaises par des investisseurs étrangers, alors il faudrait expliquer aux jeunes pourquoi on veut que les patrons français se comportent comme leurs méchants homologues du Canada, du Danemark ou de la Suède."

L'éditorialiste pense que les Français ont "une conscience générale et diffuse que la vieille routine française ne mène nulle part, sauf les hommes politiques, qui pensent qu'il est possible à la fois de rester au pouvoir et de prendre les problèmes à la gorge. Que va-t-il se passer maintenant ? Le gouvernement Villepin pourrait tomber, une grève générale pourrait perturber le pays, et, à l'extrême, Chirac pourrait être si humilié qu'il démissionnerait avant la fin de son mandat. Serait-ce une catastrophe ? Je pense que la France est un pays immensément riche, plutôt stable, bien que tapageur, turbulent, et complètement centré sur lui-même, mais trop rationnel pour sombrer dans le chaos. Le problème est que la France manque d'hommes politiques capables de parler franchement des solutions réelles et définitives, et d'expliquer comment y parvenir honnêtement et en acceptant un certain nombre de risques. Avec la réalité d'aujourd'hui, le pays pourrait rester dans l'impasse encore longtemps."


VU DE RUSSIE - La France a besoin d'un Staline
ou d'un Ben Laden

A l'instar de l'ensemble de la presse européenne, les Izvestia ont suivi avec attention les manifestations anti-CPE en France du samedi 18 mars. Pour prendre le pouls de la contestation, le quotidien russe s'est joint au cortège parisien qui défilait de la place Denfert-Rochereau à celle de la Nation. De toute évidence, le journal moscovite a été frappé par le radicalisme de certains manifestants et de leurs slogans, notamment ceux de l'extrême gauche. Le journal observe ainsi "le petit commerce de publications introuvables en kiosque, des journaux trotskistes, d'extrême gauche et anarchistes" dont les noms sont particulièrement évocateurs : Bolchevique, Les Spartakistes, Révolution internationale ou Nouvelle Vie ouvrière.

D'ailleurs, les Izvestia, publiées depuis mars 1917, décèlent une certaine "nostalgie de l'Union soviétique" dans les propos désenchantés d'un manifestant de gauche de 77 ans. "Je ne crois plus à l'avenir radieux, mais cela ne veut pas dire que je dois baisser les bras", confie ce retraité au journal.

Reste que, devant le spectacle des revendications de la rue, les Izvestia manquent de discernement. En effet, au risque de semer la confusion chez ses lecteurs, le journal russe reprend en titre de une les propos pour le moins excessifs d'un obscur étudiant de banlieue : "Pour mettre de l'ordre en France, il nous faut un Staline, ou, mieux encore, un Ben Laden"...

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